lundi 30 novembre 2020

Subversion des valeurs

C'était en août 2012... une éternité !

Je venais d'écrire le dernier article  de ce blog -après un an et demi de procrastination- et m'interrogeais sur le bien-fondé de poursuivre.

Etre ou avoir, disais-je ?

Etre dans la pression de l'immédiat et la nécessité d'écrire pour donner à lire à quelques habitués, pour me faire plaisir à enfiler des mots comme des perles sur un collier ou plus prosaïquement me sentir exister ?

Avoir le temps pour moi, prendre le temps de prendre mon temps, comme disait Philippe Noiret dans Alexandre le Bienheureux, sorte de méditation philosophique plaisante de Yves Robert.

Pendant ces huit ans de silence, il y eut pourtant d'innombrables événements divers susceptibles de m'inspirer, des livres, des films, des analyses et commentaires en tout genre, qu'il eût suffi de laisser libre cours au hasard pour qu'l m'imposât sa nécessité. 

Sans doute ne saurez-vous jamais pourquoi je n'ai pas poursuivi cette relation, ni pour quoi je relance la parution aujourd'hui. A défaut d'énoncer les raisons -comme le temps que je consacrais à la gestion du Cinéma les Halles- je peux au moins avancer un prétexte : l'envie de faire connaître quelques réactions à des articles ou situations qui m'ont vivement hérissé le poil.

Le dernier en date fut publié sans que je le veuille délibérément. Je l'ai écrit dans l'impulsion du moment, sans autre intention que de me soulager de certaines humeurs et sans illusion. Je l'ai transmis à mon fils qui s'est empressé de le poster sur Facebook. Il m'est alors parvenu quelques réactions positives, inattendues, qui m'invitent à le proposer.

Qu'en est-il ? Une lettre d'humour et de réflexion à la foisadressée au journal l’Équipe, le 26 novembre 2020, sous le titre  SUBVERSION DES VALEURS.

"Bonjour l'ÉQUIPE,

Hier, mercredi 25, jour de la sainte Catherine, je quittais mon domicile aux alentours de midi. Un flash radio m'apprit le soudain décès de Jacques Secrétin.
Maître Jacques ! Maître du ping-pong, ambassadeur d'une activité de loisir qu'il avait réussi à transformer en sport olympique. 

Pongiste modeste mais passionné, de quelques années son aîné, je fus bien vite attristé par cette nouvelle. J'avais suivi toute sa carrière avec intérêt et admiration.

L'ÉQUIPE de ce matin me permit de repenser à ce sportif hors pair, champion énorme, ambassadeur mondial du "ping", dans des salles combles et heureuses, lorsqu'il offrait le plaisir de son show avec Vincent Purkart ou quelques autres.

Il m'a suffi, feuilletant les pages, de relever les titres des articles écrits à sa mémoire, ainsi que quelques expressions installant définitivement son aura de Dieu mort certes mais encore vivant en nos cœurs. 

En vingt-trois pages, on célébrait mon héros, à la carrière irréprochable, avec 61 titres de champions de France, sans parler des titres européens et mondiaux. Douze fois en surtitre était annoncée sa disparition...  peut-être aurions-nous pu l'oublier ?

Une journée bien triste dit un champion, le meilleur de ma génération, dit un autre. Le monde dit au revoir à un génie éternel, ajoute le troisième, sans m'attarder sur bien d'autres déclarations rapportées ici ou là.

Plus qu'un joueur... une légende, un virtuose qui a su transformer le plomb en or ! Poursuivant les pages, tous ses amis en guise d'hommage faisaient profil bas : aucun d'entre nous n'a[vait sa] magie du jeu !

Je savourais mon plaisir. Enfin mon héros de jeunesse, mon modèle, était reconnu à sa juste mesure. Il avait fallu attendre ses 71 ans pour qu'on en parlât dignement.

Et de rappeler dans une page suivante qu' un pareil phénomène dans une équipe, c'est quasiment un don du ciel. Eh, oui ! Le tennis de table est un sport individuel qui se joue en équipe. Secrétin avait en effet gagné tant de titres en double en équipe de France ou en club faisant d'ailleurs de Levallois le premier club français à gagner une ligue européenne des clubs champions.

Pris dans le tourbillon des matches et des victoires, au milieu de toutes les qualités qu'on pouvait lui reconnaître, il n'avait fait preuve que d'une petite faiblesse, celle de défendre les couleurs d'une ville dont le premier soutien était un maire sulfureux sous bien des aspects mais supporter n°1 du tennis de table. Au regard d'une telle réussite, on pouvait lui pardonner.

Arrivé à la page dix-neuf, je trouvais enfin  le slogan susceptible de servir d'épitaphe :    À JAMAIS CULTE !

Mon cœur de pongiste était enfin réconcilié avec le sport. Oubliés les scandales, les salaires faramineux, les transferts au mépris des contrats signés, les polémiques sur le dopage, les coups de "com" à longueur de presse et de réseaux sociaux. L'ÉQUIPE avait enfin rendu hommage à un Monsieur, à la hauteur de ses qualités humaines et sportives appréciées de tous.

Puis se poursuivaient, au-delà, toute l'actualité, anticipant, relatant, analysant les rencontres du jour comme pour donner encore plus de relief et de valeur à ce sport qu'on aurait pu croire en péril avec l'annonce de la mort du Héros.

ERREUR ! ERREUR majuscule ! Big BUG ! Quel sot suis-je donc ! 

Arrivé deux pages avant la fin, j'ai compris ma monstrueuse bourde en reconnaissant la photo de MON héros, sous le titre DISPARITION de Jacques SECRÉTIN.


Deux pages et quelques photos seulement pour illustrer 60 ans de pratique sportive au plus haut niveau, de défense et illustration d'un sport sans scandale, sans médiatisation, sans intérêt pour la presse, les publicitaires, les financiers et les émirats. Un sport toujours contenu dans les coins de page, dans les minuscules brèves ! L'exemplarité ne fait pas vendre.

MARADONA avait eu la même idée de mourir ce même jour ! 

L'ÉQUIPE de ce 26 novembre illustre parfaitement ce traitement habituel de l'information. Les pages feuilletées avec ravissement -mais erreur- célébraient les mérites du footballeur argentin, le sport roi, le sport fric, le sport number one, renvoyant "notre" Jacques aux quasi oubliettes, le reléguant au fin fond du journal et de l'info. Certes on faisait le minimum syndical pour en dire l'admiration. Pour un producteur de presse, il n'y a pas de mauvais lecteurs, il n'y a pas de petits sports. La déontologie se trouvait ainsi sauve, en confinant le pongiste en dernières pages, submergé par le tsunami du foot et de ses idoles...

Loin de moi l'idée d'ôter à Maradona ses mérites, ses talents. Il était un champion, un très grand champion certes. Un Dieu ? Peut-être  faudrait-il  raison garder.                                 

Quel renversement de valeurs, quelle perte de sens ! Un sportif exemplaire et virtuose écrasé par le talent d'un autre génie du foot et du scandale. 

Pourrions-nous imaginer 23 pages de célébration de Jacques contre 2 pour Diego ? Et pourtant, serait-ce incongru ?

"Oh ! le foot, le foot, le foot, disait avec justesse Guy BEDOS. On est foutu !"

P.S. 
Je ne refuserais pas que vous reproduisiez ma lettre. Serait-elle une amorce de réflexion en conférence de rédaction sur les vraies valeurs ? 
Nietzsche promouvait la transmutation des valeurs. Ne serait-il pas bon de commencer dans le monde du sport ? Et L'ÉQUIPE pourrait en être le fer de lance. 
Inutile de me répondre. Je pourrais moi-même rédiger votre plaidoyer. Je suis  abonné depuis plusieurs années, lecteur régulier de L'ÉQUIPE depuis plus de 60 ans... et jadis, réprimandé par mes professeurs pour plus connaître vos articles que mes leçons !"

                                    

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