samedi 16 août 2008

Duels de charme

Les jeux olympiques nous ramènent aux temps anciens, au temps où les combats à l'épée réglaient les différends sur le pré, pour laver un honneur ou effacer un affront. Richelieu en interdit l'usage, "au nom du principe de précaution" dirait-on aujourd'hui : bien trop de jeunes nobles y perdaient la vie ou leur intégrité physique ! Il ne nous reste plus que les duels sportifs pour symboliquement braver l'interdit, défier l'adversaire, au seul risque de gagner ou de perdre une médaille. Le "socialement correct" a écarté de nos vies la violence, la vengeance immédiate. Seuls les Laura Flessel, Fabrice Jeannet (1) et quelques uns de leurs coéquipiers ont le droit de se donner en spectacle dans des duels ritualisés.

Est-ce si sûr ? Les créations artistiques conservent encore ce droit à l'exutoire des passions, pour nous purger par catharsis de nos pulsions et désirs violents. Le cinéma en particulier m'incite à ce rapprochement. Est-ce légitime ? Qu'importe, il est spontané.

J'ai eu soudain en mémoire deux films -l'un récent, l'autre vu il y a quelques mois- qui nous placent au coeur de conflits quotidiens ; certes sous des formes diverses selon les séquences (ignorance, affrontement physique ou verbal, mépris, oubli, fascination, etc.) mais qui conduisent à d'analogues confrontations de personnages. Duos d'actrices en fait, duels de charme évidemment.

D'abord, le film de Philippe Claudel, tiré de son roman "Il y a longtemps que je t'aime" qui met face à face deux femmes, deux sœurs Juliette et Léa, que le destin a éloignées pendant des années. Qu'ont-elles à se dire ? Rien : trop de secrets, trop de ressentiment les sépare. Leur rapprochement inopiné les conduit à se méprendre, s'affronter, avant de s'apprivoiser, se dévoiler, se comprendre et même s'aimer. En garde ! attaques, parades, rispostes, jusqu'à l'accolade finale : toute la panoplie du combat est là, parfois vif, parfois moucheté. Et les actrices sont de fines lames, sous le regard de l'entourage, mari et enfants, jouant les comparses, les admirateurs ou les spectateurs. Christin Scott Thomas et Elsa Zylberstein, les héroïnes, s'affrontent dans la rudesse des souvenirs, puis se retrouvent dans la vérité des sentiments. Délicatesse, présence discrète et émouvante, humanité, tout pour conduire à des retrouvailles inespérées après l'assaut final. Du grand art.

Et puis hier, "L'empreinte de l'ange", le film de Saffy Nebbou, vu un peu par hasard, au bénéfice d'un jour de quinze-août à la météo médiocre. Même configuration : la famille, les enfants, les soucis -divorce, déménagement- bref la vie qui permet des rencontres inattendues. Un regard d'enfant d'abord, une intuition, puis une recherche patiente et c'est bien vite une rencontre surprise entre deux mères. Par enfants interposés, le duo prend forme. Pressentiment ? inquiétude ? angoisse ? névrose ? folie même ? la confrontation s'installe ; l'une dégaine, dans sa quête de vérité, l'autre embroche, par souci de protection. Elsa fantasme, Claire imagine le pire. Le duo devient duel avec une agressivité montant de part et d'autre jusqu'au "face à face animal", selon les mots du synopsis, conduisant au paroxysme. Ici l'intime conviction devient certitude, là le secret s'expulse inévitablement en aveu libérateur. Les enfants en connaîtront inévitablement les conséquences, mais les duellistes sauront se reconnaître mutuellement. Catherine Frot et Sandrine Bonnaire, magnifiques, sont ces combattantes douces et farouches, fines et frustes, belles et inquiétantes, selon les assauts. Mères aimantes et mères cruelles à la fois, qui jouent l'engagement jusqu'à l'estocade finale.

Et nous spectateurs qui avons aussi donné l'assaut par actrices interposées, parfois dans un camp, parfois dans l'autre, avons besoin de reprendre souffle après la mêlée. La réalité peut reprendre ses droits devant la fiction, mais nous n'en sortons pas indemmes. Dans les deux manches de ce combat, les motifs et les motivations s'enracinent au plus profond du vécu des êtres, dans la chair de la chair, dans le fond de la mémoire, à la frontière du conscient et de l'inconscient. Nous, nous sommes touchés au coeur. Et pas même une médaille pour consolation..., il faudra du temps pour cicatriser la douleur de l'émotion.
Zarafouchtra

(1) Laura Flessel et Fabrice Jeannet : célèbres escrimeurs de l'équipe olympique française.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire