lundi 8 février 2010

Je reprendrais bien une pastille !

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Certes je ne suis pas très gravement atteint, mais je me soigne avec toute la régularité que me recommande mon médecin préféré.

La prescription est modeste, accessible, efficace, agréable.

Une petite pastille chaque semaine, parfois deux, voire trois si l'urgence se fait trop pressante. Une sorte de ces petits bonbons apaisants, réconfortants, non pas tirés d'un tiroir de pharmacie, mais du bocal de friandises que les Cinémas offrent chaque semaine aux amateurs d'images sous dépendance.

Bien installé dans mon fauteuil, une bonne qualité de son à disposition, avec si possible quelques autres compagnons de fortune soumis à la même addiction : là j'ai plaisir à les consommer en salles obscures. Ils fondent lentement dans la bouche, produisant dans les circonvolutions cérébrales pendant près de deux heures, des effets euphorisants colorés de gaieté folle, d'angoisse trouble ou de joie sereine selon le contexte de la prise ; puis s'installe alors une douce félicité qui s'estompe progressivement jusqu'aux prochains rêves qui s'en nourrissent...

Bref, je prends désormais un petit cinéma comme d'autres prennent un carré de chocolat, une cigarette ou une pastille à la menthe, donnant le plaisir immédiat qui aide à vivre un peu mieux, un peu moins mal pendant quelques jours, avec la tête pleine de couleurs, de musiques et de sentiments partagés.

Pourquoi ne pas citer quelques unes des médications qui m'ont laissé récemment le souvenir épanoui ?

Emotions fortes en dégustant Le concert de Radu Mihaileanu ; dragée pimentée au poivre dans les scènes à l'humour décalé de la troupe de musiciens plus Pieds nickelés que vrais artistes du Bolchoï ! Dragée sucrée ensuite, quand s'opère la convergence entre le concerto de violon de Tchaikovski, l'identité retrouvée de la brillante soliste et la résurrection des musiciens juifs, écrasés jadis par la dictature politique soviétique. Peut-être un peu trop doucereuse au point d'orgue final, mais faut-il se plaindre de trop de sucre ?

Pastille Valda, piquante et tenace, grave par l'Histoire et Mussolini que raconte Marco Bellochio dans Vincere ; folle dans le sort réservé à cette première épouse abandonnée, internée, niée dans son identité. Folle encore dans le mimétisme paranoïaque de Benito junior, délaissé, sans racines. Un vrai film de cinéaste, passé trop inaperçu dans le flot déferlant des sorties hebdomadaires qui méritera de revivre plus tard dans les circuits de cinéphiles.

Sucette à l'anis bien sûr pour la vie héroïque de Lucien Ginzburg, devenu au gré de ses rêves ou ses détresses, de ses réussites ou échecs, Serge Gainsbourg le poète, l'artiste, le musicien ou Gainsbarre l'amoureux transi et impudent, le provocateur insoumis et rebelle. Pas étroitement autobiographique, le film de Joann Sfar tente de dévoiler les traumatismes, les failles, les espoirs impossibles, les liaisons et les ruptures de cet artiste de génie à la personnalité écartelée. Conflit bipolaire ? en tout cas décalage entre soi et soi, entre un petit garçon malicieux, timoré mais ambitieux et un double, artiste laid et bo-beau à la fois, provocateur impénitent, "tête de chou" avide d'amours passionnées. Dichotomie sensible jusqu'au cœur de la musique, jusqu'à la polysémie des mots, sans doute gage d'immortalité. "Sucre d'orge parfumé à l'anis"... [on] est au paradis" (1).

J'aurais pu rappeler longuement le goût de papillote savourée à la projection de Whatever works, le dernier Woody Allen. La papillote, c'est d'abord le plaisir du papier doré que vous dépliez avec précaution, puis le désir imaginé, enfin la dégustation jubilatoire à chaque réplique inattendue et dévastatrice.

J'aurais pu encore parler du chewing gum à la réglisse, noir comme le charbon des mines de Pennsylvanie, arraché à la vie tragique des hommes et des enfants du 19e siècle, dans le "The Molly Macguires" de Martin Ritt. Plaisir amer, qui colle aux dents comme la poussière, dans ce Germinal américain où la solidarité des humains vient s'écraser contre le mur de la traîtrise et de la délation. Film oublié naguère, resurgi récemment pour nous conter la misère prolétaire dans une sorte de western social où "l'estime de soi, le respect de l'autre et l'insoumission à l'oppression" (2) sont les ressorts de ces combattants laissés dans l'ombre. Réglisse âpre au palais, gomme roborative pour l'estomac.

J'aurais pu évoquer bien d'autres petits caramels, Mais c'est le plus récent berlingot avalé qui me laisse la meilleure sensation de velours. Peut-être la plus durable. Je l'avais déjà sucé au Festival de Cannes et perçu le délice, sans pour autant l'avoir goûté jusqu'au bout de la dernière réplique fantaisiste, pour raison de fatigue. Berlingot multicolore, acidulé à souhait, moelleux au cœur, mielleux à chaque clignement des yeux de Sabine Azéma, suave à la plus brève réplique d'André Dussolier, comme dans tant de films d'Alain Resnais. Les herbes folles poussent où bon leur semble, abandonnant leur saveur à chaque coin de rue, chaque temps de vie. Herbes aromatiques provoquant dans les esprits des rêves interdits. Et d'ailleurs cet homme à la psyché fragile rencontre-t-il vraiment cette femme hors d'atteinte ? Le porte-feuille retrouvé n'est-il pas que prétexte à divagation ? Le berlingot diffuse en ma bouche des plaisirs différents au gré des couches colorées qui se succèdent en fondant...


"Bonbons, caramels, esquimaux,..." disait-on naguère à l'entracte des séances du dimanche.

Quoi déjà fini ? "Docteur, s'il vous plaît, ma prescription... je reprendrais bien une nouvelle pastille ! Et peut-être qu'un jour, je vous conterai d'autres douceurs sur ordonnance.

Zarafouchtra

(1) Extraits de la chanson "Les sucettes" (Serge Gainsbourg)
(2) L'Express.com

1 commentaire:

  1. Moi aussi je gouterai volontiers plus souvent ces petites pastilles...Faute de temps je ne suis pas trop l'ordonnance !
    Sauf ce mardi après-midi, sous la neige, je suis allée me mettre au chaud dans une salle obscure pour voir le très beau film de F. Ozon : Le Refuge.
    J'ai apprécié le mien pendant un moment...
    C'est de famille, ça ne se soigne pas ! Bises à toi SO

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