mardi 23 mars 2010

Mes "dazibaos" au bout du monde.

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L'actualité me pousserait spontanément à bien des commentaires... Sur la politique, les faits sociaux, les médias, le cinéma ou tout évènement culturel... Je me décris depuis longtemps comme "papivore", avide de journaux, de magazines ou de livres. Mais je ne suis pas journaliste et je ne veux pas l'être, même s'il ne m'aurait pas déplu d'en faire le métier. Alors je résiste et me contente d'ersatz...

La rédaction du blog est du journalisme "canada dry", avec le goût, la couleur, la saveur, des moyens de l'information journalistique, mais pas la finalité.
Ici, c'est le professionnalisme, avec l'obligation d'informer, de rendre compte de la réalité ; avec l'obligation d'exhaustivité, d'investigation et le souci de la déontologie.

Là, il suffit de glaner quelques bribes ou impressions, de cheminer sur un sentier singulier et de tenter un regard personnel ; regard inspiré de la vie quotidienne et des expériences ou de l'imaginaire selon les cas, sans oublier un soupçon de caractère intimiste. Même pas une page raccrochée à un média national comme, par exemple, Le Monde le propose. Juste de petits "dazibaos" (1) épinglés sur la toile pour quelques amis habitués à le visiter, au gré de leur humeur et de leurs pérégrinations.

Tout autant que pour moi, c'est pour eux que je les écris ; il m'arrive même de penser précisément à telle personne, à sa réaction, à un sourire attendri ou amusé, en glissant un mot ou en traitant un sujet particulier. Et je n'attends ni mél ni commentaire en retour. Mais si un brin de réaction arrive par un canal ou un autre, c'est toujours un petit moment de satisfaction. Bref, par plaisanterie, je pourrais dire qu'il s'agit d'une affaire de placards, si l'expression n'avait prise dans l'histoire une toute autre signification...

Je croyais ces visiteurs proches et puis un jour je suis allé me rendre compte de leur origine. Un petit logiciel "mouchard" [à cet égard, bien inquiétant !] observe, comptabilise et localise la diversité des lecteurs. Il est même possible d'en établir une géographie, une quasi géo-technologie, voire une typologie complète en tenant compte des origines, de la durée de visite, de la modalité de connexion des consultants, etc.

A défaut d'analyse sociologique et sans entrer dans les détails inquisiteurs, voyons la carte de ces lecteurs.

Première surprise, sur les 1666 visites depuis environ 20 mois d'existence, le blog a connu 1036 "connecteurs" différents. Sans les imaginer tous adhérents au "fan club", c'est tout de même un nombre inattendu et cela représente plus de 450 internautes distincts qui ont tenté de s'approcher du GiroPhare ou plus prosaïquement sont tombés par hasard -ou par erreur- sur mes ratiocinations...

Géographiquement, c'est plus surprenant encore. Outre les connexions de proximité -parfois très évidentes, lorsqu'il s'agit de très proches parents ou amis dont je connais le lieu de raccordement- c'est de très loin que viennent les visiteurs !

Proximité d'abord : la région Rhône-Alpes est en première ligne. Quoi de plus normal ? Autour des centres de Saint-Etienne, Lyon et Grenoble, environ 620 visites. Ensuite la région parisienne : plus de 100. Puis un maillage, parfois serré, parfois lâche, de la plupart des coins de France , en dépit de quelques "déserts" dans le Languedoc, le Sud-Ouest ou la Lorraine.

Deuxième surprise, c'est de quatre continents que l'on observe ce blog.

- L'Union Européenne est évidemment concernée : des belges, des allemands, italiens, espagnols et bien d'autres, mais aucun anglais !
- Une dizaine de visiteurs viennent des pays du grand-est européen s'étalant de la Tchéquie à Vladivostok !
- Du continent nord-américain, 25 visiteurs, essentiellement des canadiens du Québec et quelques états-uniens, largement partagés entre côte Est et côte Ouest.

En poursuivant le monde,
- 25 encore, sont originaires de l'Amérique du Sud,
- une dizaine de l'Afrique, principalement du Nord et de l'Est,
- 5 du Proche-Orient
- quelques unités d'Asie, dont deux internautes japonais, mais aucun de la Chine et de l'Inde !


Seule l'Océanie manque à l'appel ! Mais je ne doute guère qu'un jour, un surfeur intrépide ne vienne échouer au pied du Phare...
Echouer ? c'est bien le mot qui convient, car que pourrait tirer de mes modestes récits ou pensées un quidam du Pacifique ?

Et même qu'en retiennent les autres ? Jamais je ne le saurai, mais c'est sans regret du temps qu'ils prennent à me lire, car pour être franc, la durée moyenne de ces 1600 et quelques connexions n'est que de 2 minutes et 29 secondes. Pas de quoi s'alarmer du temps perdu...

Gagné ? Perdu ? Perdu probablement, ma vanité dût-elle en souffrir !

Zarafouchtra

(1) Les dazibaos sont des sortes de petits journaux ou affiches que les chinois placardent pour énoncer (ou dénoncer selon les époques) leurs opinions ou leurs pensées critiques. Pratique héritée de l'empire qui joua un rôle important lors de la révolution culturelle.

dimanche 7 mars 2010

Pâle reflet de la démocratie ?

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Il y a une semaine, j'ai pesté devant mon poste de télévision lors de la Cérémonie des César, censée célébrer les films, réalisateurs, acteurs et techniciens en vue au cours de 2009. J'apprécie trop cet art pour que ce ne soient pas les meilleurs qui le représentent et qui le portent aux nues. Mais là que de redondances, d'effet boule de neige ! Les coteries, les copinages voire les stratégies souterraines confinent à l'absence de discernement. Je ne peux pas imaginer que ces élections soient libres. Ou bien, si cette liberté existe, il faut en changer les règles puisqu'elle produit chaque année les mêmes effets pervers : distinguer un seul et même film par une multitude de César, tandis que les autres sont négligés, effacés des mémoires, quelle que soit leur qualité.

On ne s'y prendrait pas plus mal si l'on avait quelques idées malintentionnées ! L'an dernier j'avais fait les mêmes remarques à propos de Séraphine ! Au demeurant superbe film que j'avais vu deux fois avec un immense plaisir, appréciant notamment la performance de Yolande Moreau. Méritait-il sept César, dont le prix de musique, décors et costumes ? Il me semblait que non, mais ...

Qui dit mieux cette année ? Le prophète de Jacques Audiard. Excellent film, c'est certain, où la fiction et la réalité s'entrechoquent, la violence et l'estime, la haine et la solidarité. Film de fiction et film social documentaire à la fois. Film-S.O.S., film-cri-de-détresse pour que la réclusion, -sinon nécessaire du moins inévitable- n'engendre pas une criminalité pire. Résultat ? Neuf statuettes, comme s'il fallait que les votes confirment le rôle de favori que la presse ou le milieu du cinéma avaient auparavant décerné. Le "milieu" en effet ... !

Quel sens ce palmarès peut-il bien avoir, ignorant les nombreux films que l'année 2009 avait vu s'épanouir auprès de publics divers mais réels. Oublié Welcome, enfoncé Les herbes folles et avec eux leurs brillants réalisateurs ou acteurs ... sans parler de bien d'autres artistes qui n'avaient même pas été dignes d'être "nominés", selon l'horrible expression.

L'on sait que la démocratie dépend de la justesse de la loi électorale dont il existe différents modèles. Dans le monde des César, on a le sentiment qu'on conserve la règle précisément parce qu'elle produit des distorsions qui servent la finance, la libre loi du marché. C'est injuste ? Peu importe, semblent dire les candidats, car le jour où la victoire est pour moi ... c'est bingo !

Qui m'expliquera les modalités de vote, les critères de jugement, les raisons de cet inévitable empilement de récompenses ? Y a-t-il un brin de cohérence ?

En dépit de mes agacements, je n'ai pu m'empêcher de regarder peu après la retransmission des Victoires de la musique. Même rituel insupportable, mêmes reproches sur les choix, sur les victoires, alors que l'éventail présenté était parfois intéressant.

Et puis, suprême effet de la démocratie directe, ce clip-ritournelle conçue comme une bande-annonce des candidats soumis au vote du public ! Avec en prime le récurrent "... tapez un... tapez deux ..." pour aboutir à un choix confondant : la rengaine la plus nulle entendue 36 fois au cours de la soirée a été reconnue comme "la chanson originale de l'année" !

Mort de rire !

Il faut dire que la petite chanteuse canadienne a un minois bien plus ravageur que son talent d'artiste ; des milliers de téléspectateurs invités à voter n'ont pas dû y rester insensibles. Peut-être ont-ils confondu avec l'élection des miss... l'erreur est humaine, un vrai coup de pirate au coeur !

Démocratie ? Démagogie ?

"Ça m'énerve !"
chantait au début Helmut Fritz, l'artiste qui a présenté et de loin la chanson la plus originale parmi les nommées. Moi, à la fin, ça m'énervait encore plus.

Juré, craché ! On ne m'y reprendra plus.

Zarafouchtra

jeudi 25 février 2010

Préjugés et salade russe.

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On connaît bien Nikita Mikhalkov dont "le Soleil trompeur" fut récompensé en son temps (1994) par quelques grands festivals. Ce cinéaste, brillant mais peu prolixe, est revenu dans l'actualité, depuis deux semaines, avec un scénario lui-même "trompeur", car il a transposé dans une Russie actuelle, marquée par le traumatisme du conflit tchétchène, un célèbre film de Sidney LUMET.

12. Vous avez-dit douze ?

Comme les douze travaux d'Hercule, comme "les douze salopards" ... Non ! Quoique ...

Douze comme "les 12 hommes en colère", le film que Sidney LUMET réalisa en 1957, d'après la pièce de théâtre de Reginald ROSE écrite en 1953

Qu'ont-ils donc tous à s'affronter à cette adaptation ?

Hasard de la programmation, il y a moins de deux mois Michel LEBB -acteur et humoriste- mit en scène la pièce de R. ROSE pour la présenter à la télévision un soir de grande audience.

Hasard du temps libre, j'ai eu le plaisir de la voir et d'apprécier la lente mais inexorable évolution des esprits. Quelques jours plus tard, une autre chaîne de TV repassait le huis-clos originel de S. LUMET.
Simple coïncidence ? Peut-être. En tout cas, vertu de la répétition : cette histoire somme toute trop banale illustre, pour leurs auteurs, la fragilité voire faillite de la justice ; la faiblesse de l'instruction fondée sur une enquête trop vite bouclée jette le trouble sur la notion d'intime conviction lorsqu'elle n'est qu'une inclination psychologique à se ranger à l'avis général. Mais sous un autre angle, elle réactualise une démarche philosophique fondamentale, qu'il n'est pas vain de rappeler de temps à autre.

Souvenez-vous : il s'agit du récit, mot à mot, des délibérations d'un tribunal d'assises. Ils sont douze jurés, rassemblés pour s'entendre unanimement sur le verdict qui condamnera ou innocentera le prévenu. L'adaptation de MIKHALKOV déplace les faits, les identités et la géographie. Le latino, dans le film de S. LUMET s'efface devant un jeune tchétchène accusé du meurtre de son beau-père, par ailleurs officier russe.
D'abord tout est simple : à l'entame du délibéré, onze jurés sont convaincus de la culpabilité de l'accusé. Sans doute, sauront-ils vite convaincre le récalcitrant. Douze comme les faces d'un dodécagone, qui s'opposent autant qu'elles se complètent, déployant une réelle typologie de la société américaine ici, russe là. Archétypes de toutes sociétés où chacun accomplit son "job" personnel, mais qui renvoie inévitablement à des rôles où s'affrontent les salauds et les bien-pensants, les brutes et les tendres, les passionnés ou les timides. Toute la diversité sociale et psychologique est là et le huis-clos va permettre de dévoiler les ressorts, -conscients voire inconscients- des personnalités.
Pourquoi nier l'évidence ? L'accusé-est-bien-le-coupable, le-procès-l'a-démontré ! sa-responsabilité-est-donc -totale .. et basta !
Au lieu de se laisser convaincre, le douzième homme [au football, c'est souvent celui qui fait banquette et compte pour du beurre !] rentre sur le terrain de la discussion et commence à jouer sa partition. D'abord inaudible, puis peu à peu plus soutenue.
"Évidence ? dit-il en substance, pas si vite ! moi je ressens un doute. Un simple petit doute ; non pas un désaccord, encore moins une conviction, juste un petit doute qui s'insinue entre la reconstitution des faits par le tribunal et ma musique intérieure. J'ai le sentiment d'avoir entendu une reconstruction cohérente, plausible, vraisemblable, mais pas pleinement irréfutable. Une autre hypothèse ne pourrait-elle rendre compte des faits, avec autant de perspicacité ?"
Mais alors, l'évidence du verdict ne deviendrait-elle pas une évidente erreur judiciaire, irréparable, impardonnable ?
Peu importe comment Mikhalkov transpose la suite des délibérations. Le doute instillé par acquit de conscience produit progressivement son effet. Ce n'est plus un mais bientôt deux jurés qui ont l'intuition de l'erreur judiciaire : et alors le brin de doute s'étend, le soupçon s'élargit ; la certitude s'effrite et la vérité s'estompe. Et sans la certitude de la vérité, la condamnation ne peut être radicale, ne peut plus l'être. Dans l'interstice du soupçon, une nouvelle petite vérité émerge : puisque le quasi condamné ne peut plus être coupable, ne doit -il pas être présumé innocent ?
Malgré les dénégations, les hauts cris des uns, ce n'est plus deux mais cinq, six, sept jurés qui basculent dans cette nouvelle évidence ; non par délibération de plein exercice mais .... en creux puisque seul l'absolu de la vérité et de la preuve peut autoriser à assumer "en son âme et conscience" la radicalité de la condamnation. Sept ? La majorité du début s'est évanouie, une nouvelle a germé, comme une graine minuscule qui a produit une herbe, un arbuste. Réalité fragile mais incontestable. L'intuition rampante s'est transformée en thèse, en logique rationnelle. Les certitudes, les déclarations passionnées qui se prétendaient imparables sont fissurées ; elles apparaissent pour ce qu'elles sont, des croyances sans fondement, des préjugés, des jugements a priori ! Il n'y a plus d'issue dans la condamnation confortable et sécurisante ; la seule attitude raisonnable reste de se ranger dans l'inconfort de l'incertain mais avec la certitude psychologique d'avoir évité l'erreur absolue.
Qu'il ne soit pas le coupable avéré, ne fait pas de cet homme un innocent blanchi. Mais les consciences des jurés ne seront pas entachées d'un remord définitif.
En quelques minutes l'affaire devait être réglée, laissant chacun vaquer à des occupations futiles certes mais apaisantes, loin de la violence du tribunal. C'est après des heures d'une lente maturation que le verdict est rendu. Les douze désormais unanimes formulent la sentence : "non coupable" !
Le temps donné au temps, l'illumination des esprits et leur contagion, la colère originelle et la volonté de punir transmuée en droit au doute, la réflexion fondant en raison une nouvelle certitude loin de l'opinion préfabriquée, tout cela a produit cette unanimité finale, inattendue. Un lent raz de marée s'est produit : il explique la fascination de la pièce ou de ses adaptations : il symbolise à lui seul la démarche humaine.
Toute la tradition philosophique s'inscrit dans ce mouvement. L'ironie socratique et son efficience sont circonscrites dans cette démarche. L'esprit accouche peu à peu d'une vérité dont il était ignorant ou éloigné d'abord. Il suffit qu'un grain de sable s'intercale dans l'interstice du préjugé pour qu'il explose en vol. Ce ne fait pas pour autant de l'incertitude une vérité ; néanmoins la vérité ne peut se construire sur l'incertain.
Voilà qui m'a soudain ramené à mes années d'enseignement où il m'est arrivé d'illustrer, d'enrichir une notion par le recours au théâtre, au roman ou au cinéma. Michel Lebb a fait l'inverse : enseignant de philosophie il est bien vite passé au rire, au divertissement, au théâtre ; il a délaissé le registre soi-disant grave, non pour le dérisoire mais pour l'essentiel, pour l'humain ; assumant à travers sa pratique fantaisiste une grande part de l'histoire de la philosophie, d'Aristote à Bergson, en passant par ... Coluche ou Rabelais ; "pour ce que le rire est le propre de l'homme" (in "Gargantua" - 1534).

Hasard complet ? C'est à la même date qu'une jeune élève de Terminale, rebutée par une méchante dissertation de philosophie à rédiger pendant les vacances de Noël, me sollicitait pour l'aider à réfléchir... Son sujet ? "Peut-on se déprendre de ses préjugés ?" ou quelque chose d'approchant. Je lui transmis une série de questions pour amorcer sa réflexion et quelques pistes éclairant la problématique. A quelques jours près, j'aurais pu lui suggérer de lire Reginald Rose ou de voir sur scène Michel Lebb, en Socrate contemporain. Trop tard ...

Qu'elle ne se prive pas d'aller voir "Douze" : elle verra comment chez Mikhalkov l'ironie socratique, si elle n'est pas fille absolue de la vérité peut être au moins source de compassion. "La plus criante des vérités, dit-il paraphrasant un penseur oublié, si elle est énoncée sans amour est le pire des mensonges" (Le Monde 10.02.10)

Douze salopards ? Non, presque les douze apôtres, que vous les ayez mijotés à la sauce Lebb ou mélangés à la salade russe. Ad libitum.

Zarafouchtra
Illustrations :
1. Affiche du film "12" de N. Mikhalkov
2. "L'école d'Athènes" tableau de Raphaël -Musée du Vatican- photo Zaraf.
3. "Douze hommes en colère" - mise en scène Michel Lebb.
4. "Douze hommes en colère", affiche du film de S. Lumet.

lundi 8 février 2010

Je reprendrais bien une pastille !

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Certes je ne suis pas très gravement atteint, mais je me soigne avec toute la régularité que me recommande mon médecin préféré.

La prescription est modeste, accessible, efficace, agréable.

Une petite pastille chaque semaine, parfois deux, voire trois si l'urgence se fait trop pressante. Une sorte de ces petits bonbons apaisants, réconfortants, non pas tirés d'un tiroir de pharmacie, mais du bocal de friandises que les Cinémas offrent chaque semaine aux amateurs d'images sous dépendance.

Bien installé dans mon fauteuil, une bonne qualité de son à disposition, avec si possible quelques autres compagnons de fortune soumis à la même addiction : là j'ai plaisir à les consommer en salles obscures. Ils fondent lentement dans la bouche, produisant dans les circonvolutions cérébrales pendant près de deux heures, des effets euphorisants colorés de gaieté folle, d'angoisse trouble ou de joie sereine selon le contexte de la prise ; puis s'installe alors une douce félicité qui s'estompe progressivement jusqu'aux prochains rêves qui s'en nourrissent...

Bref, je prends désormais un petit cinéma comme d'autres prennent un carré de chocolat, une cigarette ou une pastille à la menthe, donnant le plaisir immédiat qui aide à vivre un peu mieux, un peu moins mal pendant quelques jours, avec la tête pleine de couleurs, de musiques et de sentiments partagés.

Pourquoi ne pas citer quelques unes des médications qui m'ont laissé récemment le souvenir épanoui ?

Emotions fortes en dégustant Le concert de Radu Mihaileanu ; dragée pimentée au poivre dans les scènes à l'humour décalé de la troupe de musiciens plus Pieds nickelés que vrais artistes du Bolchoï ! Dragée sucrée ensuite, quand s'opère la convergence entre le concerto de violon de Tchaikovski, l'identité retrouvée de la brillante soliste et la résurrection des musiciens juifs, écrasés jadis par la dictature politique soviétique. Peut-être un peu trop doucereuse au point d'orgue final, mais faut-il se plaindre de trop de sucre ?

Pastille Valda, piquante et tenace, grave par l'Histoire et Mussolini que raconte Marco Bellochio dans Vincere ; folle dans le sort réservé à cette première épouse abandonnée, internée, niée dans son identité. Folle encore dans le mimétisme paranoïaque de Benito junior, délaissé, sans racines. Un vrai film de cinéaste, passé trop inaperçu dans le flot déferlant des sorties hebdomadaires qui méritera de revivre plus tard dans les circuits de cinéphiles.

Sucette à l'anis bien sûr pour la vie héroïque de Lucien Ginzburg, devenu au gré de ses rêves ou ses détresses, de ses réussites ou échecs, Serge Gainsbourg le poète, l'artiste, le musicien ou Gainsbarre l'amoureux transi et impudent, le provocateur insoumis et rebelle. Pas étroitement autobiographique, le film de Joann Sfar tente de dévoiler les traumatismes, les failles, les espoirs impossibles, les liaisons et les ruptures de cet artiste de génie à la personnalité écartelée. Conflit bipolaire ? en tout cas décalage entre soi et soi, entre un petit garçon malicieux, timoré mais ambitieux et un double, artiste laid et bo-beau à la fois, provocateur impénitent, "tête de chou" avide d'amours passionnées. Dichotomie sensible jusqu'au cœur de la musique, jusqu'à la polysémie des mots, sans doute gage d'immortalité. "Sucre d'orge parfumé à l'anis"... [on] est au paradis" (1).

J'aurais pu rappeler longuement le goût de papillote savourée à la projection de Whatever works, le dernier Woody Allen. La papillote, c'est d'abord le plaisir du papier doré que vous dépliez avec précaution, puis le désir imaginé, enfin la dégustation jubilatoire à chaque réplique inattendue et dévastatrice.

J'aurais pu encore parler du chewing gum à la réglisse, noir comme le charbon des mines de Pennsylvanie, arraché à la vie tragique des hommes et des enfants du 19e siècle, dans le "The Molly Macguires" de Martin Ritt. Plaisir amer, qui colle aux dents comme la poussière, dans ce Germinal américain où la solidarité des humains vient s'écraser contre le mur de la traîtrise et de la délation. Film oublié naguère, resurgi récemment pour nous conter la misère prolétaire dans une sorte de western social où "l'estime de soi, le respect de l'autre et l'insoumission à l'oppression" (2) sont les ressorts de ces combattants laissés dans l'ombre. Réglisse âpre au palais, gomme roborative pour l'estomac.

J'aurais pu évoquer bien d'autres petits caramels, Mais c'est le plus récent berlingot avalé qui me laisse la meilleure sensation de velours. Peut-être la plus durable. Je l'avais déjà sucé au Festival de Cannes et perçu le délice, sans pour autant l'avoir goûté jusqu'au bout de la dernière réplique fantaisiste, pour raison de fatigue. Berlingot multicolore, acidulé à souhait, moelleux au cœur, mielleux à chaque clignement des yeux de Sabine Azéma, suave à la plus brève réplique d'André Dussolier, comme dans tant de films d'Alain Resnais. Les herbes folles poussent où bon leur semble, abandonnant leur saveur à chaque coin de rue, chaque temps de vie. Herbes aromatiques provoquant dans les esprits des rêves interdits. Et d'ailleurs cet homme à la psyché fragile rencontre-t-il vraiment cette femme hors d'atteinte ? Le porte-feuille retrouvé n'est-il pas que prétexte à divagation ? Le berlingot diffuse en ma bouche des plaisirs différents au gré des couches colorées qui se succèdent en fondant...


"Bonbons, caramels, esquimaux,..." disait-on naguère à l'entracte des séances du dimanche.

Quoi déjà fini ? "Docteur, s'il vous plaît, ma prescription... je reprendrais bien une nouvelle pastille ! Et peut-être qu'un jour, je vous conterai d'autres douceurs sur ordonnance.

Zarafouchtra

(1) Extraits de la chanson "Les sucettes" (Serge Gainsbourg)
(2) L'Express.com

samedi 30 janvier 2010

Un p'tit bout de vie en rose

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Dans l'environnement morose que la crise nous propose, l'on nous sert chaque jour plus d'épines que de roses. De temps en temps, comme un éclair qui traverse la grisaille, un petit bout de vie en rose peut vous alléger le coeur et l'existence.

C'était vendredi dernier, dans un Scarabée doré (1), plein à craquer, où s'empressaient deux ou trois milliers de fans de musique et de poésie, pour écouter un poète d'aujourd'hui, partager ses fragiles mélodies et goûter ses rythmiques chaloupées.

Un poète de poésie, vous avez dit ? Oui mais pas un poète accrédité, pléiadisé ; plutôt un Villon, un Rutebeuf du temps présent, sa guitare derrière dans l'dos depuis plus de trente ans et presque encore adolescent. Pas de versification toujours autorisée, juste une prosodie gracieuse, une petite mélodie gracile, comme un bonbon sucrée et acidulé à la fois, qui ne perdrait rien de son charme ni de sa saveur.

Bidon et consternation ? Non. Ça fait bientôt cinquante ans qu'il a dix ans notre modeste poète. Mutin ... Alain ? Bidon... Souchon ? Admiration, sans prétention ... !

A quoi a-t-on succombé ? Pendant près de deux heures, il nous a susurré ses petites chansons et nous avons croqué dedans avec plaisir. Pastilles distillées avec parcimonie, pensées vertes ou rouges parfois, pastels souvent, éparpillées au rythme de ces musiciens racés. Vingt-six petits plaisirs, comme autant de lettres de son alphabet de sentiments. D'abord un petit a puis un petit b ; un petit tas tombé, petit tas de secrets qui s'enchaînent, comme on enfile des perles ; des mots d'eau qui ruissellent et des mots de forêt.

Mais si l'oreille retient aisément les sonorités variées, les rythmiques caraïbes ou latino, rock'n'll ou berceuses, que deviennent les paroles ?
Souvent oubliées, négligées ...

Un petit collage ne pourrait-il pas les faire renaître ? Alors j'ai tenté ce kaléidoscope en mettant dans mon chapeau pointu, -turlututu- ses mots délicats, ses couleurs demi-teintes, ses maux doux, ses épices mêlées d'un brin de tendresse, et puis j'ai longuement secoué jusqu'à ce que naisse cette salade fraîcheur agrémentée de ses piments.

Ce puzzle inédit, inouï, puisé dans une douzaine de chansons, je l'offre à qui veut le prendre, comme on jette des roses en hommage à l'artiste.

Au chanteur-rêveur, qui nous a généreusement fait rêver et même chanter, salut !

La vie un voyage pas long à faire
Montons au-dessus des villes…

Pour voir si les couleurs d'origine

Peuvent revenir.

Ça se voit dans mes yeux
Je prends la vie par le cœur

Et voilà mon bonheur

La vie ne vaut rien, rien, rien,
la vie ne vaut rien
Mais moi… je dis rien, rien, rien,
rien ne vaut la vie
Marcher dans le désert
Marcher dans les pierres

Marcher des journées entières
Dans le parc, au point du jour


On dirait que le ciel est nerveux


Voyez le bonheur comme il passe

Allons voir ce qui le remplace
La vie sans l'amour et ses délices
C'est comme un avion sans héliceInutile
L'amour, ça marche avec le cœur, avec le cœur
La vie, ça chante avec le cœur, avec le cœur

Le monde tourne avec le cœur
Avec le cœur, le gris se colore et danse

Oh la la la vie en rose
Le rose qu'on nous propose

Aïe, on nous fait croire
Que le bonheur c'est d'avoir


Écoutez ma chanson comme elle est jolie

On va se la couler douce
Écoutez, le secret de la mélodie

mais pouce !...
(2)

"la Souche" ...


Zarafouchtra


(1) Concert public de Alain SOUCHON - vendredi 22 janvier 2010 - salle du Scarabée - Roanne-Riorges
(2) tous les mots, toutes les expressions, notés en italiques -jaune ou rouille-, sont des extraits des chansons d'Alain SOUCHON, qu'il en soit l'auteur ou seulement l'interprète.

dimanche 24 janvier 2010

Au coeur de l'humanité

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Dans un musée traditionnel, on fait l'expérience d'une œuvre dans le face à face proposé. Une peinture s'offre à nous dans un cadre figé ; parfois une sculpture nous autorise à la contourner et l'apprécier en plusieurs dimensions. Rarement il nous est permis de pénétrer au cœur de l'œuvre au point d'en être partie prenante.

Il m'est arrivé de connaître cela une première fois il y a plus de vingt ans en parcourant dans la cour du Palais-Royal, les colonnes noir et blanc de Daniel Buren. En déambulant d'une ligne à l'autre, l'espace changeait. Au gré de mes émotions, de mes impulsions, je créais une nouvelle œuvre, je me faisais co-artiste. Buren avait intégré au sein de son concept les spectateurs dont chaque mouvement le réalisait, lui donnait forme.

J'ai connu récemment une expérience semblable au Grand Palais, en découvrant l'exposition de Christian Boltanki intitulée "Monumenta 2010 - Personnes". La dramatisation humaine en plus.

Sous ce merveilleux palais de fer et de verre, où la lumière s'incruste jusqu'au moindre recoin, rien ne peut être secret. Là, dans la transparence absolue d'un regard panoptique, s'étalent des dizaines d'espaces jonchés de vêtements. Humains couchés, écrasés, surveillés, exploités ? Vivants ou morts ? L'œuvre ouvre sur tous les possibles.
Délimités par de fins poteaux métalliques, ces parcages semblent ceinturés de grillages plus mortels que s'ils étaient réels. Là point de liberté ; il y a du militaire dans cette enceinte ; de la dictature, de la torture, de la mort qui rôde. Et puis cette rythmique sourde, lourde -lancinants battements cardiaques stressés-, qui accompagne la marche à chaque détour.

Mémoire et hommage aux victimes des drames, des pestes, des génocides, des camps, de l'histoire de l'humanité ? Tentative d'exorciser le devenir ? d'espérer un autre avenir pour l'homme ? La Shoah est là, présente, avec une intensité insoutenable ; les morts des fosses communes, avec un numéro pour seule identité, et puis l'entassement des vêtements-objets rappelant les images de la fin de toute dignité des sujets.

Au-delà des tragédies de l'humanité, on est au cœur de la destinée de l'homme : Dieu ou les dieux ? le hasard ? la nature ? La vie simplement. Dans une aile du palais, la machine se fait démiurge et, au gré de ses manipulations, saisit, attrape, choisit peut-être, relâche, ignore, écrase, enterre les corps, les âmes à jamais. A moins qu'elle les élève, qu'elle les magnifie ?



Élection ? sélection ? discriminations ? jugement dernier ? juste ou injuste ? Chacun projette ses propres représentations et ses convictions qui façonnent les espérances comme les désespoirs.

Le spectateur est immergé dans l'œuvre de Boltanski ; pas moyen d'y échapper. Il est à la fois l'artiste qui dénonce les drames de l'humanité et la victime semblable à toutes celles qui sont représentées par leurs seuls manteaux plaqués au sol.

Toute lecture est bonne, toute interprétation plausible. Quelques jours après le drame haïtien, où tant de personnes ont été ensevelies sous des monceaux de béton ou de tôle, impossible ici de ne pas être hanté par les images de ces corps alignés sous des linceuls de fortune. La réalité apporte une vérité bien cruelle à la métaphore artistique de Boltanski

"Ce désastre nous rappelle une fois de plus que la vie peut être d'une cruauté inimaginable. Douleur et perte sont bien souvent infligées sans justice ni pitié. Ce "hasard de l'instant" peut frapper chacun d'entre nous. Mais c'est aussi dans ces moments-là, lorsque nous sommes confrontés à notre propre fragilité, que nous redécouvrons notre humanité commune. Nous regardons dans les yeux d'un autre homme et nous nous y voyons nous-mêmes."(1)



(1) Barack Obama -discours après le séisme de Haïti - in "Newsweek" du
20.01.10 - traduction Gilles Berton.

mercredi 13 janvier 2010

Grouchy ? Non, Blücher. *

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Depuis cinquante ans l'histoire de la télévision, notamment des chaines publiques, est une incessante succession d'émissions de variétés qui ont cherché à distraire le public. Divertissements populaires, découvertes de musiques, de chanteurs, numéros d'artistes, parfois mêlés de discussions, d'échanges intelligents "sans prise de tête", de jeux, de fantaisies. Inutile d'en faire la liste, chacun a gardé en mémoire des images, depuis "La piste aux étoiles", jusqu'à "Taratata", en passant par "Champs Elysées" ou "La tête et les jambes".

Aujourd'hui, elles sont rares les émissions à la fois variées, construites, pensées en vue d'un pur plaisir. On n'échappe guère à la vulgarité ; vulgarité de propos, inélégances des mots ou des thèmes, vulgarité de la publicité permanente déguisée ou même proclamée sans vergogne. Et puis certains jeux quelle facilité ! Pas besoin de s'interroger sur la structuration de l'émission, le format est immédiat, permanent, confortable pour le spectateur passif qui est visé, ciblé diraient les communicants !

Facilité au fond mais -si possible- pour la bonne conscience. Apparence de culture et d'intelligence... "Questions pour un champion" installé depuis des années, demeure un bon coup pour une soirée de "prime time" ; il suffit d'inventer un thème : le meilleur des champions ou le "champion des Grandes Ecoles" ou tout autre "Qui veut gagner des millions ?"

Cette dernière émission fait le bonheur de bien des gens, sinon leur fortune. Quelle chance ! chacun peut espérer égaler ou dépasser le candidat qui vient de partir avec quelques dizaines de milliers d'euros ! Alors pour les grandes soirées, il suffit de garder le "concept" de l'organiser autour de l'amalgame "misère-souffrance-générosité-bonheur" et d'offrir des millions au bénéfice d'une organisation humanitaire ! En ce cas, ce sont des stars médiatiques qui, sous couvert de charité, viennent s'affronter, se montrer solidaires, généreux et, mine de rien, rappeler leur DVD ou leur prochaine tournée. Comme hier, du pain et des jeux ?

Mais où et comment situer la dramatisation du jeu-spectacle, pour que la tension monte dans le public et conduise au maximum d'intensité ? pour scotcher le spectateur à son écran et si possible racoler l'éventuel zappeur insatisfait des programmes concurrents ?
Il y a bien sûr le niveau de difficulté des questions, les hésitations sur les réponses, les rappels de stratégies plus ou moins bien avisés de l'animateur, l'incertitude du montant atteint mais quoi donc encore ? Eh bien, comme jadis pour les étoiles de Roger Lanzac, lorsque les acrobates du cirque s'envolent en l'air, s'accrochent, se lâchent, se rattrapent du bout des doigts, les tambours roulent, grondent, la musique enfle, inquiète, angoisse et soudain un grand coup de cymbales ferme le ban pour marquer la réussite du numéro. Et les artistes désormais soulagés sourient à qui mieux mieux !

Ces roulements d'angoisse sont le fin du fin de l'incertitude et du drame : plus l'enjeu financier est élevé, plus le roulement est grave, inquiétant et long. Interminable même, que les deux candidats se demandent si les mouches ont 4 ou 6 pattes, ou qu'il s'agisse de savoir si, dans "la Critique de la Raison pure" d'Emmanuel Kant, les jugements synthétiques sont "a priori" ou "empiriques" ...

Merveille de la variété-télé !

La soirée du premier janvier 2010** était de ce tonneau, inquiétante au possible au gré des tambours, puisque le fric était au bout des roulements. Quel bonheur pour l'anniversaire de la télévision rêvée par notre "cher" Président !

Soudain, surprise ! Fatigue ? Erreur ? Assoupissement compréhensible dû à la soirée de réveillon précédente ? ... je ne reconnaissais plus J.P. Foucault. Avait-il eu un malaise ? avait-il fallu le remplacer en urgence ? Peut-être avais-je manqué un épisode. Les questions n'étaient plus tout à fait les mêmes ; plus de carrés magiques, mais quatre mots à retrouver au milieu d'une chanson, parfois 6 ou 8. Ce devait être la seconde partie de l'émission. Les mêmes spectateurs décors semblaient changés ; le rappel récurrent des possibles gains opérait le même charme, l'animateur suggérait de faire appel à l'un des trois jokers. Les chanteurs et artistes s'efforçaient toujours de bien répondre tandis que les associations humanitaires se frottaient les mains à chaque réussite. Le suspens s'intensifiait de minute en minute, bientôt l'on atteindrait le million d'euros.

Pas de doute, c'est bien la suite de l'émission avec toujours le même drame : les roulements de tambours, longs, de plus en plus longs au gré de la difficulté. Mieux même : le sublime consistait à découper le résultat en morceaux : deux mots ? les tambours ronflaient. Ouaiss ! Un autre mot ? les tambours plus angoissants encore... Enfin la cymbale libératrice permettant au candidat de taper, rageur, dans la main de ... mais ouaiss !!! ce n'était plus Foucault, c'était Nagui ... MERDE !... j'avais zappé sans m'en rendre compte !

C'est alors que je retournais sur TF1. On était là au comble de l'incertitude entre deux expressions. Les tambours roulaient interminables, les mains se serraient ; les doigts se crispaient ; j'attendis un peu ... Infernal !
N'en pouvant plus de ce suspens bidon, je re-zappe sur FR2. Déjà Nagui était figé de peur, la candidate ne disait mot, autour de lui les cœurs battaient au rythme des ... tambours qui scandaient l'insupportable angoisse ; les mêmes artifices, la même trivialité... Désespérant !

Le "mieux-disant-culturel", naguère cher à M. Léotard, sévissait sur toutes les chaines. Avec ou sans publicité, la télévision vend toujours du temps de cerveau disponible***. Je pouvais m'en aller coucher, apaisé, réconforté et serein à jamais.
Mais pour 2010, faisons le vœu d'oublier ces bien étranges lucarnes.

Zarafouchtra

* Ces mots renvoient au poème de V. Hugo, "L'expiation" (Les Châtiments).
Au 3ème jour de la bataille de Waterloo, le 18 juin 1815, Napoléon espérait recevoir le renfort de Grouchy. En réalité, c'est le
général Blücher à la tête des troupes prussiennes qui arriva le premier !
"Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Il avait l'offensive et presque la victoire [...]
"Soudain, joyeux, il dit : "Grouchy !" - C'était Blücher"
L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme".
Et le sort de la bataille bascula.

** Cf. Télérama 3127-3128 du 16 décembre 2009 -page 254- : sur les deux cases en vis à vis (20h45 pour TF1 et 20h35 pour FR2) c'est un même commentaire copier-coller : "En l'honneur de l'an neuf, nos vedettes nationales vont se démener pour faire gagner de l'argent à des associations méritantes" ...

*** Selon la sinistre expression de M. Le Lay, alors resposnable de TF1.

mardi 5 janvier 2010

Le froid redouble de rigueur ... ?

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Janvier est là, avec ses froidures. On entend autour de soi parler de rigueur de l'hiver...

Je préfère réserver ce mot à ce qui décrit la cohérence des choses. La rigueur, disais-je, non la rigidité, c'est un principe fondateur de l'entreprise humaine, garant de la justesse et de la vérité.
C'est précisément pourquoi je m'agace, quand l'incohérence vient habiter des domaines où le sérieux, la gravité devraient s'imposer sans relâchement.

L'information, par exemple, quoi de plus exigeant ? Elle ne tolère ni l'approximation, ni le contradictoire. Et en cette matière le Service Public devrait s'avérer irréprochable. Pourtant .... deux exemples récents !

Le 4 janvier, sur France 3, lors des informations de 18h30 ou 19h. Le journaliste interroge sur les prévisions de l'année 2010. Cliquant sur son écran tactile comme un ado sur son jeu vidéo, il fait apparaître l'experte interviewée : Comment voyez-vous l'évolution de l'économie ? Et la politique, quel avenir proche ?

Avec le plus grand sérieux, la réponse est donnée. En substance : "la crise économique sera encore bien rude à supporter, mais elle laissera progressivement place à la reprise ; il faudra cependant attendre 2011, pour que ce soit plus net". Et les élections de 2012 ? Notre spécialiste se fait catégorique : "non le PS ne présentera pas DSK. Martine Aubry sera opposée à Nicolas Sarkozy qui l'emportera haut la main. Et Ségolène ? elle conservera un rôle...". Là le journaliste, largement repu des "preuves" accumulées, interrompt la pythonisse, aussi inspirée que le fut jadis la prêtresse de Delphes. Pythonisse ? J'exagère, pensez-vous. Mais non j'ai bien vu, j'ai bien lu sur l'écran : Madame-l'experte-des infos-du-soir était en toute rigueur ... astrologue. Et sans la moindre distance, ni ironie du journaliste, il enchaîna "sans transition" comme dit PPD la marionnette des Guignols, sur la relation d'autres événements. Dûment vérifiés ?

Le lendemain sur France-Inter, j'ai regretté que ce ne fut pas une séquence humoristique du "Fou du Roi". Le chroniqueur habituel de la Bourse de Paris, peu avant 13 heures, s'étouffe de satisfaction : "le CAC 40 frise à nouveau les 4000 points" ! Le yoyo libéral qui mesure les humeurs de l'économie, jouet cassé il y a moins de 18 mois, renaît comme le phénix miraculeusement. Qu'il monte ? Et notre admirateur s'esbaudit devant tant de merveilles : c'est la joie, l'espoir, le bonheur accessible du bout du doigt des riches. Qu'il descende ? Le voilà qui pleure : c'est la catastrophe, l'alerte rouge, la misère assurée pour les pauvres spéculateurs.

Jour de fête ! Cadeau des rois mages en ce temps d'Epiphanie ! Notre journaleux oublie la rigueur de son métier. Et de donner, comme à son habitude, des justifications à la hausse, avec autant de certitudes que les Diafoirus du théâtre de Molière ! La bulle gonfle, s'élève, se nourrit même des plans sociaux pour optimiser les profits : pourquoi ne pas exulter ?

Vous avez dit rigueur ?

Où sont les Poali, les Freeman, ou les Demorand qui s'évertuent tous les jours à décrypter la géopolitique, à dénoncer les délocalisations absurdes, le productivisme, les atteintes à l' environnement ? Où sont-ils ceux qui nous invitent à réfléchir, à dévoiler la réalité des faits sous les postures et les plans-com. ; à penser le monde autrement, à souhaiter qu'après la bulle financière rien ne devra(it) plus se reconstruire comme avant, à bâtir une éthique pour l'humanité ?

Manifestement dans le service public, il y a pour le moins failles, sinon faillite. Car à cultiver aussi nettement la contradiction, à dispenser cette chronique boursière quotidienne sans la mettre en cohérence avec les réflexions sur le devenir de la société et de la planète, n'est-ce pas se payer de mots et de concepts inutiles ? Et prendre les auditeurs pour des sots ?

Malheur à nous pauvres auditeurs, baladés d'un zig à un zag, sans autre moyen que de fulminer de tant d'approximations. On en viendrait parfois à tenter d'émigrer vers d'autres sites médiatiques plus..., moins..., bref mieux !

Hélas, pendant les récentes grèves sur France-Inter, j'ai fait l'essai des concurrents. Horreur ! J'ai bien vite réintégré ... Bah ! je baisserai le son, juste avant 13 heures, au moins jusqu' "à la Chandeleur, là où l'hiver s'en va ou prend vigueur".

Vigueur ? Eh oui, pour être rigoureux !

Zarafouchtra


N.B. Le dessin satirique sur le Bourse est tiré de : www2.snut.fr

lundi 4 janvier 2010

2010 ? Coucou, me revoilou !


Il faut bien se rendre à l'évidence ; depuis mai, je n'ai pas rédigé le moindre articulet ! Déjà en octobre, ma fille s'inquiétait.

Hello Papa ! Alors toujours pas de nouveau message dans ton blog, pourtant ce n’est pas l’actualité qui manque ? Tu n’es pas inspiré ? Cela m’étonne entre l’affaire Mitterand, les interventions de Finkielkraut et la fondation "bidon" de CarlaBruniSarko ...

Plus tard, bien d'autres événements ou controverses auraient pu alimenter mes vélléités de réactions et commentaires ...

Ce ne sont pas les occasions qui manquent, ni les idées, ni les sollicitations. Ce serait plutôt le temps ...

Aie ! Me voilà dans l'ornière que je voulais précisément éviter ; me voilà submergé par de multiples activités. Alors je tente de me sortir de l'embarras par une pirouette "quand je serai à la retraite !"...

Sommes-nous réellement occupés par tant et tant de choses ? Je crois au fond que nous sommes occupés par rien ; par un rien, veux-je dire, quand la vie n'est plus régie par l'agenda.

Paradoxe surprenant, c'est dans la fébrilité que l'on remplit pleinement sa vie. La sérénité n'est pas dans l'absence, ni au bout de l'attente, mais dans la conscience minutieuse de ce que l'on accomplit quotidiennement. Encore faut-il arriver à ce terme pour percevoir l'illusion de la réalité, voire la réalité de l'illusion !

Le temps vraiment disponible, c'est celui qui est grignoté sur l'urgence pour donner de la liberté. Je l'ai tant de fois suggéré à mes élèves, j'en découvre les vertus aujourd'hui : "on n'a que le temps que l'on se donne".

Et je n'en ai pas donné à la rédaction du blog, cet exercice plaisant, réconfortant mais narcissique à la fois ! Bien des raisons l'expliquent, je passerai sur la liste, tant ma bonne foi pourrait être mise à mal.

J'aurai pu, par exemple, évoquer le plaisir de la découverte de films au Festival de Cannes : Eric for looking de Ken Loach et l'humour inattendu de Cantona, Les herbes folles d'Alain Resnais avec le couple mythique Azéma-Dussolier ou Inglourious Basterds qui m'a momentanément réconcilié avec le cinéma américain.

J'aurai pu raconter les plaisirs de rencontres d'été, les délicieux moments passés avec les petits-enfants à construire des cabanes, les lieux découverts -ou redécouverts- sur l'île de Ré avec le groupe stéphanois ...

D'autres petites choses par-ci, par-là, auraient pu retenir l'attention : un passage rapide aux Hospices de Beaune pour un concert vocal plein de grâce et de finesse ; un champ de fleurs multicolores apparu au détour d'une matinée douce et ensoleillée à vélo ; le plaisir de traverser la Suisse, pour découvrir la fondation de l'Hermitage à Lausanne puis revoir Martigny, la fondation Gianada, son parc, des sculptures, ses expositions ; tout cela entouré des ocres des vignobles, des rouges, des bruns sur fond de ciel d'octobre apaisant.

J'aurais pu ... mais je n'ai pas !

Alors en ce début de janvier qui est le temps des vœux, parfois des résolutions et des engagements, je lance cet article sur un coin de la Toile, comme on jette une bouteille à la mer. Il suffirait d'un seul découvreur-lecteur pour me laisser croire à la nécessité de ce GiroPhare, pour que je continue à le faire clignoter de temps en temps.

Mais pour ajouter un peu de dérision à cette entreprise d'autosatisfaction, je glisse un clin d'œil de pierre, photographié au cours de pérégrinations en Brionnais - un modillon fameux d'Anzy-le-Duc, satisfait et moqueur à la fois. Juste symbole de ce qu'il faut de distance pour ne pas se prendre au sérieux.