jeudi 19 mars 2009

Séraphine


Je n'avais pu voir la projection de ce film à sa sortie, j'attendais avec un plaisir impatient sa reprogrammation. Ce fut récemment, juste après la cérémonie des César qui l'a distingué avec bonheur.

Méritait-il l'honneur du meilleur costume ? du meilleur décor ? de la meilleure musique ? du meilleur scénario original, alors qu'il retrace une vie ordinaire ? La formule même de ces récompenses rend possible un injuste oubli autant qu'une vénération excessive ! Mais les César du meilleur film, de la photo et surtout de la meilleure interprète féminine ne sont pas usurpés, tant Yolande Moreau éclabousse de sa classe cette oeuvre magnifique.

Qui était cette Séraphine Louis, peintre ignorée, méprisée, pendant une grande partie de sa vie ? Yolande lui donne un visage, une allure, un talent si justes que l'on ne peut imaginer autrement la vérité historique. Devenue Louise de Senlis, une fois reconnue dans ses créations personnelles, une fois dépassée la prétendue naïveté de son art, cette femme obtint quelque place dans l'histoire picturale du 20e siècle. Mais il fallut du temps ; l'exposition qui lui fut consacrée à Paris ne date que de l'automne dernier ! Mais est-ce l'actualité du film qui a activé cette mise au grand jour ?

A travers la gaucherie, la modestie, la pauvreté extérieure de Louise, transparaissent sa majesté, sa fierté intérieure. Ses oeuvres s'enracinent dans son travail de ménage quotidien, dans son acharnement pictural nocturne, dans ses espoirs avortés de gloire. Dans son mysticisme ou encore dans le glissement progressif vers la folie : "créatrice illuminée" dit-on.

Loin des canons de la beauté des magazines, Mme Moreau rend à cette artiste, dans le film de Martin Provost, une beauté plus belle que toutes les images du monde. Loin des photos glacées et retouchées. Une des plus belles actrices de notre cinéma, qui ne manque ni de finesse, ni d'humour, ni de talent. Chapeau YoYo !

ci-dessus : L'arbre de vie - Séraphine de Senlis


samedi 14 mars 2009

Vertige de l'amour ?



"Un jour je sourirai moins

Jusqu'au jour où je ne sourirai plus

Un jour je parlerai moins
Jusqu'au jour où je parlerai plus".
(Album "Bleu Pétrole" - texte de Gaëtan Roussel)

Ce jour annoncé -et ardemment repoussé- ce fut aujourd'hui pour Bashung. Sa "petite entreprise" vient de connaître la crise et tous les résidents de la République lui ont rendu un hommage mérité. Au contraire de certains artistes que l'on découvre et célèbre à leur mort, Bashung a été reconnu dans le monde de l'art de la chanson. Récemment encore trois Victoires de la musique en ont fait le champion français de ces trophées. Son combat contre le cancer donna-t-il une prime à l'émotion ? Peu importe, son talent était si flagrant que rien ne peut entacher sa reconnaissance.

Son Bleu pétrole, chanté avec tant d'énergie lors de ses concerts de l'année, s'est répandu en marée noire. Noire, comme la scène de spectacle du Creusot où nous le vîmes en novembre, illuminé de spots d'espoirs ; noire comme le chapeau qui dérobait sa chute de cheveux, comme ses lunettes qui masquaient ses larmes de douleur. Il avait la pudeur des gens courageux, la force des résistants et ses chants en étaient plus beaux. Quelques gestes sobres, pour lui qui ne pouvait plus faire rouler les rocks, une voie grave -de celle qui a atteint la plénitude-, des mots chargés de sens, double sens souvent, car rien de ce qu'il disait ou chantait ne pouvait ignorer son expérience humaine.

Vertige de la mort contre "vertige de l'amour". Lui qui chantait "j'ai des doutes sur la notion de longévité", désormais "il voyage en solitaire". Pour l'éternité ?

Et chez nous, ses mots et ses rythmes, ses balancements et ses sonorités, ses amours et ses déchirures, sa douleur et ses espoirs, tournent en boucle pour estomper l'amertume du jour.