mardi 10 février 2009

Errance vers Santiago


J'en avais lu le manuscrit l'an dernier, reçu pour "avis et suggestions" avant retouches et mise au point définitive, selon une déjà vieille habitude entre nous. J'en avais conservé un sentiment mitigé ; une poésie minimale, vivante, mais trop hors contexte, désincarnée pour susciter mon enthousiasme. (1)

Récemment j'ai pu lire, parcourir, feuilleter à loisir le livre sorti en librairie : "Voyage à Compostelle" (2) de Jean-Claude Barbier (3). Un monde entre les deux documents ! Le premier, jeune, texte brut, austère, âpre, tannique certes mais sans corps ni éclat. Le second moelleux, gouleyant, élégant, empreint de territoires, de saveurs, d'odeurs, de fleurs et de pierres... Les mêmes petits poèmes qui semblaient courts et secs, sans couleurs ni profondeurs, simple imitation des haïkus japonais (4), sont devenus à chaque page des pépites dans des écrins impressionnistes. Impressions soleil couchant, puisque l'itinéraire s'étire lentement de l'est à l'ouest, tout au long des 1500 km de marche, allant en 55 étapes d'Arles à Saint-Jacques de Compostelle. (automne 2006). Ce "livre-promenade" est un pêle-mêle d'observations, de regards sur les choses, de rencontres, au gré des accidents du voyage, des sensations intimes, des réflexions de ce "pèlerin de la poésie", comme il se dénomme.

Un an d'affinage en cave, de vieillissement en fût de chêne ? Les épices et autres condiments ajoutés ont changé la nature du mets. En vrac : l'ouverture -comme l'on dit d'un opéra- écrite pour donner le sens et la lumière, le découpage d'étapes aux tons variés et rappelés discrètement à chaque page, les photos choisies, choyées, pour dire plus qu'elles n'illustrent, les données locales et historiques qui enracinent les pensées dans une vérité de terroir, d'humanité séculaire. Et puis la mise en page, sobre et brillante, élégante, renouvelée page après page, où les poèmes irradient de tout leur sens. Comme des bonbons toujours renouvelés, ils explosent en bouche, salés, sucrés, poivrés, onctueux ou acidulés, légers et anecdotiques, réfléchis ou graves, cultivés, spirituels, personnels et intimes même. Bref un livre original et personnel, un beau livre, que chacun peut goûter à sa guise. : d'un coup, à la russe, comme pour ressentir l'effet d'un alcool fort ; à petites gorgées pour en savourer les harmonies fines. J'ai pratiqué les deux expériences. Chacune a son charme ; moi je préfère butiner, papillonner sur les mille fleurs que l'itinéraire offre à la dégustation, allant et venant, puis revenant parfois là où demeure un zeste de nectar.

Au hasard des lectures, j'ai parfois ressenti un vers au rythme heurté, regretté un mot moins bien sonnant, trébuché sur une pensée plus amère que douce, ou buté sur son plaisir à hisser le drapeau de "l'homme de peu de foi" sur un chemin sacré par l'Histoire... Mais ce n'est que brindilles perdues au cœur de tant de bouquets colorés et savoureux.

A consommer sans modération pour prolonger "ce grand festin de marche"(5). Vous reprendrez bien un petit chocolat ?
Zarafouchtra

(1) La version "blog" se trouve accessible par le lien actif, ci-dessous : "ma liste de Blogs" -colonne de gauche de GiroScope.
(2) Voyage à Compostelle d'un homme de peu de foi, Jean-Claude BARBIER, éditions Le Champ Bleu. [Il suffit de cliquer]
Pour commander, courriel à : jeanclaudebarbier@neuf.fr
(3) Jean-Claude BARBIER a déjà écrit une déjà longue collection d'ouvrages : contes et nouvelles, romans historique, récits de découvertes, guides, etc. Ancré dans les territoires qu'il aime découvrir et faire partager -notamment les Alpes de Haute-Provence- il sait particulièrement mêler réalité et imagination, technicité et poésie, histoire(s) et pays. Formé à la philosophie, il a su se déprendre d'elle, en oublier la dimension pédagogique ou pédante pour l'instiller dans des minuscules mais intéressantes réflexions que le lecteur peut s'approprier à son rythme. L'amitié qui nous lie remonte à nos années de lycée. Cela me vaut de recevoir de temps à autre un nouveau manuscrit qu'il propose à ma sagacité. Relecture, critiques, suggestions... C'est pour moi un plaisir, un honneur et pour lui -que sais-je ?- un écho, un test, une assurance ?
(4) Le choix littéraire est original : retranscrire ses impressions de pèlerin, sous forme de haïkus, mini textes de l'espace poétique japonais (forme brève, réduite à 3 versets, épanouie au 17e siècle) produits au gré des regards, rencontres, observations, incidents de voyage, réflexions de marcheur. Poème de l'ici et du maintenant.

(5) Robert Sabatier - Les noisettes sauvages.

lundi 9 février 2009

A chacun son Everest


Depuis des années je n'étais allé à Chalmazel, cette petite station de ski des monts du Forez, choyée par le Conseil Général. Jeudi dernier, avec Denis, nous y avons passé une belle journée ; cette semaine, le ski remplaçait le V.T.T., pour le plaisir de tracer de belles courbes et descendre les 2 ou 3 schuss proposés.

Du haut des pistes, juste sous le radar, un large panorama depuis la Limagne jusqu'aux balcons du Lyonnais. En regardant ainsi côté est, des souvenirs d'enfance remontent du plus profond. De la maison familiale, nous avions un regard direct sur ces sommets du Forez. Maman qui avait un attachement particulier pour la montagne, veillait sur ces hauteurs en vigile fidèle. "Il y avait encore de la neige sur Pierre-sur-Haute à la Saint Jean" me disait-elle à mon retour d'internat, en fin d'année scolaire. Pierre-sur-Haute, c'était notre montagne à nous, comme à Sallanches ils ont le Mont-Blanc ou en Provence le Ventoux. On l'aimait bien, c'était de là que venaient les premiers signes du printemps, mais aussi les nuages et les vents précurseurs des orages.

Alors venir skier sur ces pentes, même pour un jour de détente, c'était retrouver les lieux du regard maternel. Regard clos depuis déjà longtemps, mais qui ravivait des sensations, des plaisirs, des jeux, des chants qui ont traversé enfance et adolescence. Celles de mes frère et soeurs, cousins, cousines, voisins, amis... Presque de la nostalgie ! Ce sentiment inhabituel chez moi m'a envahi quelques instants. Est-ce l'âge qui m'invite à ce retour ?

Sur la piste ensoleillée, l'appel de la pente s'est fait plus fort. Denis est parti, j'ai enchaîné derrière lui, m'attachant à bien suivre sa trajectoire.
Arrivé au bas de la piste, le flash-back était oublié.
N'avais-je pas un peu rêvé ?

Zarafouchtra

samedi 7 février 2009

Salut les copains !


Je marchais dans la rue, depuis un assez long temps. Le soleil brillait mais réussissait à peine à élever la température au-dessus de zéro. Au moment où il se glissait dans l'interstice de deux immeubles, j'ai aperçu Aimé. Quelle surprise ! nous ne nous étions pas vus depuis des années. Copains d'enfance, nous avions seulement gardé le contact par son frère, Albert, de qui je suis resté proche. Une fois les retrouvailles passées, j'ai pu justement lui donner des nouvelles de son aîné ; nouvelles particulièrement fraîches, un courriel reçu du Canada hier venait de m'annoncer ses aventures au cœur des grands espaces boisés et sur des lacs gelés, par un froid de -32°. Aventurier en tout genre, il ne cessera pas de m'étonner.
Au hasard de quelle péripétie, ai-je perdu de vue Aimé ? Le temps de me le demander, j'entrevis Régis. Quelle journée de veine ! Une bonne poignée de mains comme pour réchauffer nos doigts glacés et un grand plaisir de se retrouver. Depuis l'île de Ré où nous avions partagé balades à vélo et découvertes, peu de contacts, hormis une fameuse soirée-soupe-aux-choux et quelques mails... Et Thérèse ? Et Madou ? et les enfants ? Il était inquiet de son père, opéré ce matin en urgence. Allô l'hôpital ? Pris dans le mouvement incessant de la circulation, je le laissais dès qu'il fut en communication. A bientôt pour de meilleures nouvelles !

J'en étais tout retourné, lorsque je butais sur trois pierres... Non, trois Pierre de mes connaissances. Pierre le bien nommé, lui qui n'a plus un cheveu sur le caillou, marchait d'un bon pas. Ensemble nos rencontres sont régulières, trois ou quatre fois l'an ; un fort passé vécu en commun et qui demeure encore vivace. Sans nostalgie, au contraire, avec la conviction de prolonger le plaisir. Le second, Pierre le grand ? Là ce fut sans forte surprise ; c'est un marcheur habitué des sentiers et forêts du Pilat ou du Haut Beaujolais. C'est là qu'à l'été dernier nous avions fait une agréable balade, accompagnés de Marie et Jean. Quant au dernier Pierre, il faisait partie de l'équipée qui avait sillonné l'île de Ré à l'automne dernier.
Presque suffoqué par de telles coïncidences, pour retrouver mon souffle, je cessais de marcher quelques instants. Et puis ce fut le tourbillon : Marie-Thé, Bernadette, André, Georges, Bernard, Marie-Hélène et bien d'autres encore arrivaient ; Marc même, lui qui était gravement malade il y a peu, protégé du froid par un superbe chapeau qui lui donnait de l'allure. Pour se réchauffer de temps à autre, certains chantaient quelques refrains ; l'air nous était connu, mais les paroles de circonstances nous échappaient. Alors battant le pavé, nous esquissions deux ou trois sautillements pour les accompagner. Je repris la marche de concert avec eux. Tous les copains, ceux d'hier, ceux d'aujourd'hui, étaient là...

"Tous ensemble, tous ensemble, ouais !" Nous étions tous à Saint-Etienne, cours Fauriel, au cœur de la manifestation du 29 janvier. Les copains de tant de contestation étaient encore présents. Comme l'hiver, l'indignation n'a rien perdu de sa vigueur. Une bonne marche, une bien belle matinée ... Devra-t-on se revoir bientôt ?

Zarafouchtra

mercredi 4 février 2009

1632 ... et toujours la même tentation.

1632 ?
C'est le nombre de pages que comportent les carnets secrets de la Ve République de Michèle Cotta. Journaliste d'abord puis présidente de la Haute Autorité de l'audiovisuel, elle a fait preuve d'une belle constance pour rédiger presque chaque jour ses notes et appréciations critiques. Depuis 1965, elle n'a eu de cesse de poursuivre de son assiduité le personnel politique, pour en obtenir le meilleur de ses secrets. Au gré des pages, ce sont notamment les portraits de Mitterrand, Pompidou, Giscard, Chirac, au milieu de dizaines d'autres qui ont marqué de leur empreinte la Ve République. Aucun ne manque, certains viennent et reviennent selon l'actualité. Un manège permanent, où la distance nécessaire à la déontologie se dispute à la sympathie, la complicité ; l'amitié même, bien que contenue, car l'auteur livre leurs secrets et très peu les siens.


Vrais ou faux secrets ? Si les enjeux d'alors leurs donnaient quelque profondeur, la réalité d'aujourd'hui les a largement éventés. Secrets de polichinelle que les trahisons de Chirac ! les ficelles tirées en coulisse des Garaud, Juillet et Cie ! les combats ou les coups bas tirés à vue dans tous les congrès socialistes !

Parmi mille choses que contiennent ces deux tomes, un énorme fil rouge, une volonté lancinante, récurrente des présidents successifs : avoir la main sur l'information. En dépit des intentions avouées ou de la morale affichée, ils sont dans l'illusion permanente que là est la clé de leur avenir. Ah ! si les journalistes, si la radio et la télé surtout rendaient mieux compte de leurs intentions, de leurs projets, la France s'en porterait mieux et les français leur rendraient spontanément grâce en les réélisant ... Et chacun de s'enferrer avec le même aveuglement.

De Gaulle, Pompidou, Giscard, tous ont recherché la servilité de la profession. Les premiers avec un ministère de l'information directement sous le contrôle du Premier Ministre ; Giscard, dans sa vision plus libérale, casse le monopole de l'O.R.T.F. au nom de son credo libéral, mais bénéficie encore du poids des institutions et des habitudes.

Pour Mitterrand, c'est plus complexe. Ses orientations prônant les radios libres et la liberté des médias, vont faciliter le pluralisme de la presse, des ondes et des images. Il n'oubliera pas néanmoins dès le début de son septennat de "soutenir le départ" de journalistes et animateurs des années 70 ! Puis il créera la Haute Autorité -confiée néanmoins à l'une de ses proches- comme marque de l'indépendance revendiquée.
Combien de fois Michèle Cotta évoque les conversations où Mitterrand, sans donner de strictes consignes, tente de circonscrire toute attitude qui pourrait lui devenir hostile ! Il joue ainsi au chat et à la souris, la laissant s'échapper sans la perdre du regard. Jusqu'au jour où, après des élections perdues, Chirac transformera cette institution pour la reprendre en mains.

Devenue Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (C.S.A.) cette institution fêtait ce 3 février ses 20 ans d'existence. J'allais lever mon verre pour saluer, si ce n'est l'indépendance, du moins une certaine autonomie... Patatras ! l'histoire, comme le prétendait Nietzsche, est bien un éternel recommencement. Le Parlement "dans sa grande sagesse" est en train d'adopter la loi sur l'audio-visuel qui redonne la main au Président-Tout-Puissant, sur toutes les nominations des chaînes TV et radios publiques. Et probable hasard des choses, ses meilleurs amis sont -"à l'insu de son plein gré"- les puissants patrons de groupes de presse et de communication.

Mais les journalistes sont-ils aisément disponibles ? La plupart savent que la liberté ne s'use que si l'on ne sert pas. Comme, dès ce jeudi 5 février, le Président s'invite dans les petites lucarnes pour "faire la pédagogie de la crise" face à des interrogateurs qu'il a choisis, y aura-t-il séance d'illusionnisme ou sursaut de liberté ?

Que de secrets, tentations ou tentatives, illustrations ou illusions, les Michèle Cotta de demain auront encore à raconter ; en 1632 pages ou plus ... si affinité !
Zarafouchtra