vendredi 15 août 2008

Un (grand) homme peut en cacher un (petit) autre

Trop vite une actualité chasse l'autre... Retour arrière sur Alexandre le Grand, lauréat du prix Nobel de littérature. Il était de la lignée des chênes que l'on n'abat pas ! ni par le Goulag, ni par l'exil, ni par le dénigrement. Sauvé par l'écriture et les manuscrits secrètement conservés, maintenu en résistance par un élan irrépressible de justice et de vérité, soutenu par la reconnaissance littéraire, déraciné puis replanté au cœur de son jardin russe après 1989, Alexandre Soljénitsyne vient seulement de céder devant l'âge et la maladie. Bien des hommages lui ont été rendus ; hommage à l'homme courageux comme à l'immense écrivain digne des Tolstoï ou Dostoïevski. Hommage à ce héraut dont le cri, lancé contre la perversion de l'idée de communisme et sa dégradation en système totalitaire, a été enfin entendu, jusqu'au point où les murs, érigés entre les états et entre les hommes, se sont effondrés. Certes, d'autres avant lui surent dénoncer cette faille radicale et éclairer quelques esprits lucides (1) ; lui fut largement entendu, grâce sans doute à la puissance de son talent littéraire. Dès 1962, la parution de son petit chef d'œuvre qu'est "Une journée d'Ivan Denissovich" (Folio) avait tout révélé ; certains esprits furent ébranlés, mais la fiction romanesque de l'ouvrage avait pu laisser croire à d'autres que la réalité n'était pas celle-là. "L'archipel du Goulag" -publié entre 1973 et 1976 selon les éditions et les traductions-, a enfin dessillé les yeux de ceux qui rêvaient encore du grand soir. Désormais l'empire soviétique s'est écroulé et Pékin s'est accommodé de l'élan libéral sans renoncer pour autant à l'autocratie répressive. Hormis dans quelques états en résistance aveugle, l'idéal du 20e siècle n'est plus qu'une illusion passée (2)
Dans ce concert d'analyses notant le rôle irremplaçable de Soljénitsyne, une petite musique de sottise s'est fait entendre. Celle d'un sénateur français, plutôt coutumier du fait, l'inénarrable Jean-Luc MELANCHON (3) ! Prendre de la distance, refuser les regards béats, voilà qui est sain ; ne pas bêler avec les autres moutons est signe de lucidité. Mais nier le talent littéraire de Soljénitsyne pour avoir retrouvé son âme russe, le mépriser pour quelques jugements de vieil homme sur les mœurs ou pour les modes de vie, c'est prendre l'accessoire pour l'essentiel, c'est mêler les faits avec la mythologie, confondre la dénonciation salutaire de la dictature léniniste avec quelques appréciations douteuses voire réactionnaires. Au regard du progrès de l'histoire qu'il a permis, que peuvent bien valoir les critiques portées à l'encontre de ce géant -fussent-elles légitimes- ? Hélas, notre politicien de "gauche" croit toujours que le réel de l'humanité pourrait coïncider avec son rêve, tandis que le souffle du socialisme utopique n'a jamais su produire qu'un irrespirable socialisme réel .

Cette attitude témoigne qu'en dépit des Soljénitsyne, Sakharov et autres "dissidents", il demeure en 2008 des aveuglements purement idéologiques. A sa manière "notre" sénateur reproduit 35 ans plus tard l'analyse des Marchais ou Kanapa (PCF) prétendant que l'écrivain russe n'est que l'instrument de l'ennemi de classe (4). Ne lisait-on pas dans l'Humanité du 31.12.1973 que l'affaire Soljénitsyne relève d'"une vaste campagne antisoviétique dont l'objectif est invariable : faire oublier la crise en France et mentir sur la réalité des pays socialistes" ?
L'histoire bégaie ? Peut-être... En tout cas elle exige une autre perspective et ce n'est pas avec de tels politiciens que les partis progressistes d'aujourd'hui pourront recréer de l'espoir. La relecture des ouvrages majeurs de ce grand Alexandre continuera à nous convaincre que le destin de l'homme est de construire la paix dans la justice et la liberté, fût-ce une gageure absolue. Sous prétexte de reconnaissance de la différence, il ne faudrait pas confondre les grands et les petits. Dans la forêt des bâtisseurs qui travaillaient à un devenir meilleur, un grand Homme en cachait un petit ; Alexandre versus Jean-Luc. Il serait dommageable pour l'humanité que l'on inversât les rôles ou les pensées et que l'on prît celui-ci pour celui-là.

Zarafouchtra

Pour Jean Daniel, nulle confusion dans l'analyse, dès 1974 ! Dans son éditorial récent (5), il renvoie à ses écrits d'alors : "Ceux qui approuvent la mesure [de bannissement] dont Soljénitsyne a été victime, ceux qui s'y résignent, tous ces hommes ne sont pas des nôtres. (...) Ils ne veulent pas ce que nous voulons et, finalement, s'ils nous traitent en ennemis, ils ont raison". Et pan sur le bec, comme dit le Canard !

(1) Avant même le rapport Khrouchtchev sur la déstalinisation, bien des communistes ou compagnons de route avaient fait l'analyse du "socialisme réel" et s'étaient éloignés du P.C.F. - J.P. Sartre et quelques autres n'en étaient pas. (2) François Furet :"Le passé d'une illusion - essai sur l'idée communiste au 20e s." - 1995 R. Laffont (3) Déclaration de Jean-Luc Mélanchon à Canal +, le 5.08.08, après le décès de Soljénitsyne, prétendant les hommages surfaits et affirmant que l'écrivain russe était un "homme de droite ... gavé d'honneurs ... homophobe ... limite antisémite". (4) Se reporter à Philippe Robrieux "L'histoire intérieure du parti communiste français (1972-1982)" - Fayard - 1982 (5) Le Nouvel Observateur - n°2283 du 7 au 13 août 2008

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